Source : inprecor
Par Jan Malewski
Par Jan Malewski
Si les Traités ne
prévoient pas de compétences directes des institutions de l’Union européenne
dans le domaine de la protection maladie, depuis une vingtaine d’années on
observe dans tous les pays membres une remise en cause des droits et des acquis
sociaux en la matière. Ces droits sont le résultat des rapports de forces
sociaux à l’issue de la seconde guerre mondiale. Ainsi la Constitution de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) stipule : « La possession du meilleur état de santé qu’il
est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être
humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa
condition économique ou sociale. »
De ce fait la protection de la santé échappait largement aux rapports du
marché.
« Libéralisation »,
privatisation…
La santé connaît une
« libéralisation » croissante, accélérée encore depuis l’éclatement
des « bulles financières » en 2001 et depuis 2007. Potentiellement,
elle constitue en effet un très large secteur pour l’accumulation du capital et
les systèmes de protection maladie apparaissent, aux yeux des capitalistes à la
recherche de nouvelles sources du profit, comme une vache à lait.
A
la suite des politiques néolibérales, la préoccupation centrale des
gouvernements de l’UE est devenue celle du financement de la protection maladie
du fait du décalage croissant entre les recettes (réduites par les nombreux
« allégements des charges sociales » et de l’imposition du capital)
et les dépenses (qui continuent de croître du fait du vieillissement des
populations et de l’augmentation continue des prix des médicaments et des
équipements médicaux). Comme la norme de concurrence est au centre de la
construction européenne néolibérale, les tentatives de « maîtrise des
dépenses » de protection maladie, c’est à dire les coupes budgétaires, ont
entrainée l’introduction des mécanismes s’apparentant à ceux du marché :
la réforme allemande de 1992, renforcée en 1997, a introduit la concurrence
entre les caisses de maladie, en France cette concurrence a été généralisée
pour la couverture complémentaire (mutuelles), en Grande-Bretagne la réforme de
1990 a introduit la concurrence au niveau de l’offre des soins entre les
agences sanitaires de district et le cabinets des médecins généralistes, accrue
par une nouvelle réforme en 1999. Ces mécanismes de « quasi-marché »
mis en place en Angleterre ont servi de modèle de référence en Espagne. C’est en
Catalogne que la concurrence entre établissements publics et privés à été le
plus nettement mise en œuvre. Ces évolutions transformant les soignants en
« entrepreneurs de soins », ont conduit à la thématique de « l’hôpital
entreprise » qui s’est traduite par des réformes managériales internes des
établissements hospitaliers, accompagné d’une évolution du profil sociologique
de leurs directeurs. L’hégémonie idéologique néolibérale a conduit à la
diffusion généralisée de la concurrence entre prestataires de soins et à la
mise en place d’instruments de mesure de performance des soins ainsi qu’au
transfert des « solutions » (schémas organisationnels etc.) d’un pays
à l’autre. Dans le secteur de la santé, comme dans d’autres, on a assisté à l’apparition
d’une véritable élite internationale de « spécialistes », qui
imposent dans leurs pays les recettes néolibérales élaborées au plan européen
et international (1).
Un récent rapport du
secteur de recherches de la Deutsche Bank (2), consacré à la croissance
possible des revenus de la concurrence, indique qu’il y a « des bénéfices
qui peuvent dériver de la privatisation des services gouvernementaux d’intérêt
général, par exemple (…) des établissements de santé », car
« fondamentalement, il s’agit de marchandises ». Il poursuit en
expliquant que « les équipements (tels les hôpitaux), qui ne couvrent pas
leurs frais d’exploitation et/ou sont endettés » devraient être privatisés
« avec une remise correspondante » et que « c’est une manière
pour le gouvernement de réduire ses futures obligations financières tout en
offrant à ces équipements l’occasion d’être restructurés avec succès par les
propriétaires privés ». Et comme les gouvernements ont des obligations
dans le domaine des services de santé, le rapport annonce d’emblée qu’à la
suite de la privatisation du secteur de santé « le gouvernement pourrait
obtenir ces services des fournisseurs privés en les payant » et cite en
exemple « les réservations requises de capacités des hôpitaux en périodes
de crises, telles que les épidémies »… Bref, les gouvernements devraient
vendre avec remise les établissements de santé pour ensuite y payer, sans
remise, les réservations des capacités nécessaires… Les auteurs signalent
encore, en note, que si les gouvernements pourraient hésiter à vendre les biens
publics, du fait d’une substantielle opposition civique et des accusations qu’ils
« vendent des bijoux de famille », « une importante partie du
potentiel se trouve au niveau municipal, car les municipalités sont plus ou
moins autonomes ce qui constitue une clé d’une grande portée pour les
initiatives de privatisation » — ce qui sous-entend que les élus
municipaux seraient plus « abordables »… ou
corruptibles (3).
Ces
recettes visent la « restructuration » du service de santé, c’est-à-dire
consistent à la fois à remettre en cause les acquis des salariés de la santé
(salaires, conditions de travail, protection sociale…) en vue de réduire le
coût de la main d’œuvre et de réorganiser les établissements de santé en vue de
trier entre les soins rentables, pour pouvoir les privatiser, et ceux qui ne le
sont pas.
…et
leurs résultats
La
Pologne est un exemple des résultats de cette politique. Le financement des
soins y a été transféré à un Fonds national de santé, divisé en structures régionales,
qui financent des contrats annuels fixes — donc indépendants des évolutions des
besoins de patients — des
services de santé aux établissements publics ou non. Ce système a d’abord
permit de bloquer les dépenses, puis de rendre déficitaires les hôpitaux publics,
qui ont l’obligation de soigner même lorsque leur contrat a été dépassé. La
propriété des hôpitaux de proximité a aussi été transférée aux localités ou aux
cantons, sans qu’ils disposent de budgets nécessaires. Une nouvelle loi prévoit
que tous les hôpitaux endettés devront être « commercialisés »
(transformés en sociétés anonymes) jusqu’à la fin 2012, sinon leurs
« propriétaires » publics devront rembourser la dette en six mois. L’effet
espéré a été atteint : les hôpitaux sont massivement privatisés. Ces
hôpitaux privés, orientés vers la maximalisation de leurs bénéfices, profitent
de toutes les failles du système
de financement. Un récent rapport de recherche réalisée dans sa région
par l’Université médicale de Gdansk (GUM) conclue que « les établissement
non publics : 1. offrent un éventail plus restreint de soins et utilisent
fréquemment plus de 50 % de leur contrat pour une procédure unique ;
2. réalisent des procédures dont la marge est plus haute ; 3. évitent les
patients dont l’hospitalisation pourrait être longue ; 4. dans certaines
situations une sélection de patients du fait de l’âge peut se
produire. » (4) Le quotidien Gazeta Wyborcza résume : « Un
patient atteint de complications, nécessitant une hospitalisation prolongée, n’ira
pas dans un établissement privé car il n’est pas rentable. Où sera-t-il
traité ? Dans les hôpitaux publics, où la majorité des malades n’est pas
rentable, comme lui. » (5) L’autre face de la médaille : les
salariés voient leurs contrats de travail remis en cause (6). Une salariée
du Centre médical de Piekary Slaskie, qui a été transformé en société anonyme
détenue (encore) par la mairie, écrivait récemment dans une lettre à la
presse : « Notre respectée Madame le PDG a eu une idée géniale :
que toutes les aides-soignantes démissionnent et elle va les reprendre avec un
contrat de commande (7), (…) des femmes, qui ont vingt-cinq ans d’ancienneté,
qui sont déjà exploitées par le dur labeur, qui en acceptant de tels contrats n’auront
plus de congés payés, ne pourront plus prendre un congé maladie car chaque sous
comptera pour elles. Elles vont simplement être détruites. Et quelle parodie —
elles ne seront pas licenciées, elles doivent se licencier elles-mêmes !
(…) Les femmes sont brisées, elles ne savent pas quoi faire, elles n’osent pas dire
NON à haute voix. Alors, en leur nom, je lance un appel au
secours ! »
Soulignons,
que les médias internationaux n’arrêtent pas de souligner la bonne santé
économique de la Pologne (taux de croissance en 2011 : 4 %) et de la
présenter comme un exemple, contrairement à la Grèce.
Mais
en Grèce, à la suite des mémorandums de la Troïka, on voit une véritable crise
humanitaire et sanitaire. Alors qu’un mouvement avait imposé au cours des
années 1980 un système de santé public et gratuit, il ne reste que des ruines.
Durant les neuf premiers mois de 2010 le budget du service national de la santé
a été réduit de 60 %, entrainant fermetures des services de soins,
suppression des emplois et diminution des salaires. Les hôpitaux psychiatriques,
jugés non indispensables, ont fermé. Trois millions de personnes, soit près d’un
tiers de la population, se retrouvent sans aucune couverture sociale, car l’assurance
maladie est liée à un emploi. Les hôpitaux n’ont plus les moyens de fournir les
médicaments. Et tout accès à un établissement de soins est conditionné par le
payement d’un « ticket d’entrée » de 5 €. Enfin une offensive
raciste vise les immigrés, pointés comme « responsables du déficit »
et il est même demandé aux soignants de refuser les sans-papiers et de les
dénoncer… Des femmes immigrées ont subie la « confiscation » de leurs
nouveaux-nés, restitués à leurs mère après acquittement du prix de l’accouchement ! (8)
Les
exemples polonais ou grec ne sont pas isolés. Alexis Benos écrit : « La réalité dans les
différents pays est remarquablement semblable. La Belgique a annulé le droit de
l’accès universel aux services de santé et légalisé la sélection au nom du
profit des patients du secteur privé. En Grande-Bretagne, la liste des
diagnostics qui ne sont pas couverts par les services de santé gratuits, car
ils “ne mettent pas immédiatement la vie en danger”, s’allonge. Cette liste de
procédures inutiles comprend même la chirurgie du genou, celle des
articulations de la hanche et la cataracte ! En Espagne, après la
fermeture des lits dans les hôpitaux publics, la santé est reconnue maintenant
par la loi comme une marchandise, et le traitement des immigrés n’a rien à
envier à la misérable politique de Papadopoulos et Loverdos [en Grèce]. En
Allemagne, 30 % des hôpitaux publics ont déjà été livrés au secteur privé.
(…) En Italie, la participation des patients au payement de leurs médicaments
est passée de 35 % à 40 %. » (9) Ajoutons qu’en Belgique,
où les hôpitaux appartiennent (encore) essentiellement au secteur privé non
lucratif (associatif, mutualiste, etc.), les services sont petit à petit « externalisés »
et une partie des subsides atterrissent de cette manière dans les caisses du
privé. Les maisons de retraite connaissent une différenciation : les plus
rentables (le plus chers) sont commercialisés, ce qui s’accompagne d’une
détérioration des conditions de travail des personnels. Et en Italie, le
gouvernement Monti prépare d’augmenter son « plan d’économies » pour le porter
à 25 milliards d’euros. Dans ce cadre les dépenses de santé « devront être
diminuées de 1,5 milliards d’euros » (10).
Luttes
victorieuses contre la privatisation de la santé
Ces politiques justifiées par des raisons
budgétaires visent en réalité de rendre la plus grande partie du secteur de la
santé rentable, pour la privatiser. Ce sont les exigences du capital qui déterminent
les projets de « restructuration ». Par exemple, le groupe d’investissement
Penta, que le syndicat des médecins slovaques LOZ/LUP a dénoncé comme devant
être le bénéficiaire de la privatisation du secteur hospitalier, écrit dans sa
page web à propos de ses « critères d’investissement » que « le
taux de rentabilité interne exigé est au minimum de 20 % pour chaque
investissement » (11). Pour que les hôpitaux réalisent une telle
marge, il fallait que le gouvernement slovaque casse la résistance des médecins,
en particulier qu’il refuse leurs revendications salariales.
Après
des semaines d’actions de protestation des médecins et les grèves des étudiants
en médecine, pour « sauver le système public de soins », et de
négociations sans résultats avec le gouvernement, un tiers de médecins
hospitaliers de Slovaquie ont annoncé qu’ils démissionneraient le 30 novembre
2011 si leurs demandes n’étaient pas satisfaites. Leurs revendications :
respect du code du travail et des règlements de sécurité du travail, modification
du système de financement des hôpitaux qui ne reflète pas les coûts réels et
permet aux cinq compagnies d’assurances santé de réaliser des profits, arrêt de
la transformation des hôpitaux en sociétés anonymes régies par le code du
commerce, garantie légale des salaires pour les médecins entre 1,5 et 3 fois le
montant du salaire moyen (12). Bien que le gouvernement ait eu recours à l’état
d’exception (qui impose la réquisition des médecins) et ait fait venir des
médecins militaires tchèques pour les remplacer, 1500 médecins ont suivi le mot
d’ordre syndical, bloquant ainsi le fonctionnement des hôpitaux et forçant le
gouvernement à capituler le 5 décembre 2011. « Par cette action, les
médecins ont sauvé le caractère public des services médicaux en Slovaquie. La
transformation de tous les hôpitaux en sociétés anonymes commerciales a été
stoppée. Le prix réel des services médicaux, incluant les salaires des
professionnels de la santé, a été adopté. Une loi sur le salaire minimum des
médecins a été adoptée — actuellement il est fixé entre 1,05 et 1,6 fois le
salaire moyen dans l’économie ; à partir du 1er juillet 2012 il montera
entre 1,2 et 1,9 fois le montant du salaire moyen national. » (13)
En
Roumanie, fin décembre 2011, dans le cadre de l’austérité réclamée par le FMI,
la Banque mondiale et l’Union européenne (14), l’équipe du président
Basescu s’est attaquée fin décembre 2011 au système de santé. Sa contre-réforme
prévoyait une réduction de la couverture médicale afin de faire entrer au moins
quatre assureurs complémentaires privés sur le marché de l’assurance maladie,
ainsi que la « commercialisation » des établissements de santé, dont
le Service mobile d’urgence, réanimation et désincarcération (SMURD). Raed
Arafat, un médecin d’origine palestinienne, fondateur du SMURD et
sous-secrétaire d’État à la Santé, a critiqué cette réforme lors d’une émission
télévisée le 12 février 2012. Le président Basescu est alors intervenu en
direct et l’insultant et Arafat a démissionné, également en direct. Dès le lendemain
la population roumaine, harassée par l’austérité, est descendue dans les rues
de Bucarest et d’autres villes : le mouvement des « indignés
roumains » venait de naître. Bien que le président ait d’emblé annoncé le
retrait de la réforme et que R. Arafat ait été réintégré au gouvernement,
malgré la neige et le froid, des milliers d’indignés vont occuper les rues,
jusqu’à obtenir la démission du gouvernement dirigé par Emil Boca, le 6
février. Un nouveau gouvernement de coalition des partis de droite, dirigé par
Mihan Razvan Ungureanu, a démissionné à son tour trois mois plus tard. Des
élections anticipées sont prévues en novembre 2012. La mobilisation contre la
« réforme » de la santé a ouvert la voie à la contestation de toutes
les politiques d’austérité !
En
Allemagne, la privatisation des hôpitaux a déjà avancé. La multinationale
Frasenius, d’abord centré sur les appareils de dialyse, puis sur les cliniques
de dialyse, avant d’élargir ses activités à l’industrie pharmaceutique et aux
hôpitaux, y possède déjà 75 hôpitaux. La décentralisation du système de santé —
c’est-à-dire la décentralisation des dépenses — conduit les organes
administratifs locaux à tenter de ce débarrasser du poids des dépenses pour la
santé. C’est dans ce cadre que la municipalité de Dresde a tenté de fusionner
les deux hôpitaux municipaux qu’elle gère au sein d’une société anonyme et d’en
transférer la gestion à un groupe privé, premier pas vers sa vente. Pour s’y
opposer, une « Alliance pour les hôpitaux » a été construite, regroupant
leur personnel, le syndicat Ver.di, le collectif « Bas les pattes devant
les hôpitaux », les partis politiques (Die Linke, SPD…). 37 000
signatures furent collectées sur une pétition pour le maintien du statut
municipal des hôpitaux. Un référendum a été imposé et, le 29 janvier 2012, à la
question « Les hôpitaux Dresden-Friedrich et Dresden-Neustadt soivent-ils
garder le statut d’entreprises communales de Dresde ? », le
« oui » à 84 % des suffrages exprimés. La participation fut de
37 % des inscrits, soit au delà du minimum requis de 25 %, ce qui
fait que le résultat du référendum s’impose à la municipalité de Dresde pour
les trois années à venir.
Un
mouvement de résistance européen est né !
Ces
luttes victorieuses ont trois caractéristiques. D’abord, elles mobilisent bien
au delà des travailleurs de la santé, comme en Roumanie et à Dresde
(Allemagne). Ensuite, les confédérations syndicales dominantes, faisant partie
de la Confédération européenne des syndicats (CES), n’y jouent pas un rôle
moteur, voire ne les soutiennent pas. Parfois — comme en Slovaquie — c’est un
syndicat catégoriel qui y joue un rôle central. Finalement, la CES, qui dispose
d’énormes moyens qui pourraient lui permettre ne serait-ce que de traduire et
de faire connaître dans tous les pays membres de l’UE des informations sur les
attaques patronales et gouvernementales dont ses membres sont victimes et sur
les luttes menées à l’échelle nationale, ne les fournit même pas aux syndiqués.
Alors que les capitalistes disposent de multiples structures de coordination,
la coordination européenne des luttes menées par les salariés du secteur de la
santé et les populations reste à faire. Ce sont des structures ad-hoc et
parfois des associations européennes catégorielles (comme la Fédération européenne
des médecins salariés) qui font connaître à l’extérieur du pays les
revendications des mobilisations en défense de la santé.
L’éclatement
des bulles financières spéculatives (c’est-à-dire l’effondrement de ce que Marx
appelait « le capital fictif ») et la récession (autrement dit la
réduction des possibilités d’investir des capitaux à des taux jugés «
rentables ») ont accéléré la recherche de nouveaux espaces de
capitalisation. Dans la santé cela conduit à un saut qualitatif de la
« libéralisation » et à une accélération des
« restructurations » pour « ouvrir au marché » un secteur
qui était encore largement protégé. C’est « une politique internationale
uniforme, dont les caractéristiques
sont cohérentes. Ces principales étapes sont la commercialisation des
services de santé (création du marché intérieur), démantèlement du service de
la santé publique et de la protection sociale (qui s’appuie sur son sous-financement,
provoquant l’obsolescence des équipements et la réduction de la main-d'œuvre,
l’élimination des services, le pillages des fonds publics d’assurance, etc.)
et, enfin, la privatisation des services, caractérisé par le transfert des
coûts au budget individuel du patient et de sa famille » (15).
La
très grande majorité des directions syndicales dominantes ne prend pas des
initiatives pour réagir à cette nouvelle situation, qui exige de rompre avec la
routine ne serait-ce que pour défendre le droit des syndicat à exister. Car,
comme l’indique l’exemple des privatisations des hôpitaux en Pologne, le
capital n’a plus besoin de « partenaires » : la transformation
des salariés en « auto entrepreneurs » — lorsqu’on leur impose des
contrats commerciaux à la place des contrats du travail — les prive du droit de
se syndiquer, car la loi syndicale en Pologne n’autorise pas (à juste titre)
les entrepreneurs d’en être membres. Engluée dans l’idéologie du partenariat
social, la CES se limite tout au plus à protester qu’elle n’est plus invitée à
négocier au niveau européen.
C’est
ce constat qui a conduit des militants politiques, associatifs et syndicaux à
tenter de se regrouper à l’échelle européenne. En mai 2011, avec l’aide de
l’Institut International de Recherche et de Formation (IIRE-IIRF) (16), à
l’initiative du Nouveau parti anticapitaliste (France) et du Syndicat libre
« Août 80 » (Pologne), une première conférence européenne en défense
du service public de la santé a eu lieu à Amsterdam (17), en présence de
militants venant d’Allemagne, de France, de Grande Bretagne, d’Irlande, de Pologne
et de Suède. Il s’agissait d’échanger les expériences des luttes et de
collectiviser les informations sur les attaques contre les services publics de
santé et les rapports de forces dans les différents pays. L’idée de prolonger
cette expérience, par un élargissement du réseau à un plus grand nombre de pays
d’Europe et à toutes les organisations populaires qui partagent ce point de vue
a été adoptée. Une seconde conférence a eu lieu à Katowice (Pologne), en
novembre 2011, à l’initiative du Syndicat national polonais des infirmières et
sages-femmes (OZZPiP), du Syndicat libre « Août 80 » et de SUD Santé
Sociaux (France). La question de l’élargissement du réseau ainsi que l’idée
d’en faire un outil capable d’initier des actions communes à l’échelle
européenne a germée. Dans ce but la conférence de Katowice a appelée à une
nouvelle rencontre européenne, qui a eu lieu à l’Université de Nanterre
(France), les 12 et 13 mai 2012, avec des délégations de 28 organisations
venant d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne, de France, de Grèce, d’Irlande,
d’Italie, de Pologne et de Slovaquie. Elle a été coorganisée par la
Coordination national des comités de défense des hôpitaux et maternités de
proximité, le syndicat SUD Santé Sociaux, le Nouveau parti anticapitaliste
(NPA), les Alternatifs et la Fédération pour une Alternative Sociale et
Écologique (FASE), le parti communiste français (PCF). Les participants ont
adopté une déclaration (18) qui appelle à « l’organisation
dans chaque pays d’une semaine d’action européenne, pour le droit à la santé des
peuples et contre le démantèlement des services publics de santé et leur
marchandisation, du 1er au 7 octobre 2012 » et ont décidé de prendre part au
« Village blanc Européen » (campement de personnel de santé) à
Varsovie (19) le 6 Octobre » ainsi qu’à « l’organisation d’une
Conférence européenne le 7 octobre 2012 à Varsovie ». Une « campagne de
communication commune avec affiches communes et pétition commune » sera
réalisée.
Ces décisions constituent un grand pas en avant. Regrouper des
militants politiques, associatifs et des organisations syndicales à l’échelle
européenne n’avait rien d’évident. L’histoire du mouvement ouvrier européen a
crée des barrières entre les syndicats et les partis politiques, les
expériences néfastes de soumission des syndicats à des partis staliniens et
sociaux-démocrates pèsent encore, les capacités de mobilisation entre les uns
et les autres différent… Même si, comme on l’a vu récemment, des luttes
victorieuses en défense de la santé publique ont été menées par de tels
regroupements (à Dresde, par exemple) et que des collectifs de ce type existent
dans certains pays (« Notre santé en danger » en France ou
« Keep our NHS public » en Grande Bretagne, par exemple), les
traditions ont la vie dure. C’est l’urgence de faire face aux attaques
coordonnées du capital contre le secteur public de la santé et le constat amère
de l’inefficacité des superstructures européennes du mouvement syndical qui a
imposé de tenter de regrouper toutes les organisations prêtes à agir : les
syndicats qui le veulent, les organisations politiques, les associations, les
collectifs et les coordinations. Toutes et tous les militants sont
concernés : l’appel de la conférence de Nanterre à une semaine d’action
européenne en octobre c’est l’occasion pour toute équipe militante de commencer
à agir avec la conscience qu’elle n’est plus isolée, qu’elle peut s’adresser
aux participants de la conférence de Nanterre pour obtenir l’aide nécessaire à
la résistance.
Les
organisations participantes ont lancé la préparation de la semaine d’action européenne
au travers des conférences de presse réalisée le 5 juin dans les différents
pays d’Europe. Comme l’écrit Vladimir Nieddu, la semaine d’action
« organisée sous une forme adaptée dans chaque pays » du 1er au 7
octobre « n’est pas considérée comme un aboutissement mais comme le point
de départ de l’élargissement des mobilisations à d’autres pays et organisations
qui n’étaient pas présents à Nanterre. De même que l’Union syndicale Solidaires
recherche la construction d’un mouvement interprofessionnel au plan européen,
SUD Santé Sociaux cherche à décliner dans notre propre secteur les axes de
mobilisation communs à tous les peuples d’Europe. La conférence y a contribué. » (20)
« Un mouvement de résistance contre la privatisation de la protection de
la santé, contre la favorisation des établissements privés, contre le
traitement inacceptable des salariés et des patients est né », disait
Iwona Borchulska, présidente de l’OZZPiP lors de la conférence de presse à
Varsovie le 5 juin dernier (21). « Sur tout le continent il y a une
lutte contre la commercialisation et la privatisation des hôpitaux, des
dispensaires, des centres médicaux psychologiques et des secours médicaux. Les organisation
des salariés de la santé et les patients n’acceptent pas la marchandisation de
la santé » (22), ajoutait Zbigniew Zdonek du Syndicat
libre « Août 80 ».
1.
3. Voir : Patrick Hassenteufel, Sylvie Dalaye, Frédéric Pierru, Magali
Robelet et Marina Serre, La libéralisation des systèmes de protection maladie
européens, Politique européenne n° 2, 2001/1,
http://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2001-1-page-29.htm#
2.
Dieter Bräuninger et Barbara Böttcher, Revenue, competition, growth,
EU-Monitor, Engl., 1 décembre 2011, p. 5. Ce rapport est disponible en anglais
sous format PDF : http://www.expedition-d.de/PROD/DBR_INTERNET_DE-PROD/PROD0000000000281545/Revenue%2C+competition%2C+growth%3A+Potential+for+privatisation+in+the+euro+area.PDF;jsessionid=F9AC011C77F476E5C729A4460BAE9B93.srv-loc-dbr-de
3.
ibid., p. 15.
4.
Le rapport (en polonais) de Janusz Morys, recteur de GUM, peut-être consulté :
http://www.rynekzdrowia.pl/Polityka-zdrowotna/Raport-GUMed-niepubliczne-szpitale-lecza-039-oplacalnych-039-pacjentow,120326,14.html
5.
Alicja Katarzynska, Bulwersujacy raport : Selekcja chorych w szpitalach, 3
juin 2006, http://m.wyborcza.pl/wyborcza/1,105226,11854824,Bulwersujacy_raport__Selekcja_chorych_w_szpitalach.html
6.
Cf. Anita Rzepka, Marché du travail et « contrats poubelles »,
Inprecor n° 579/580 de décembre 2011-janvier 2012.
7.
Le contrat de commande (umowa zlecenie), où l’exécutant (ou un tiers qu’il
mandate) s’engage à effectuer correctement un travail donné sans obligation du
résultat. Ce type de contrat, sauf précision contraire, peut être dénoncé du
jour au lendemain. L’entrepreneur est cependant tenu de respecter les
règlements de la sécurité et de l’hygiène du travail et de payer les
cotisations de sécurité sociale (sauf si l’exécutant est un étudiant de moins
de 26 ans) et l’exécutant ne doit pas effectuer le travail sous la direction de
celui qui passe la commande. De tels contrats peuvent être renouvelés
indéfiniment sans être considérés comme un CDI.
8.
Cf. J. C. Delavigne, Défendre le droit à la santé partout en Europe,
Tout-est-à-nous ! du 14 juin 2012.
9.
Alexis Benos, La conférence européenne de la santé à Nanterre, Epohi, 28 mai
2012,
http://www.epohi.gr/portal/koinonia/12026-2012-05-28-11-53-53&usg=ALkJrhg-l5j9D7VsyUTMSZ6TO93l9jmawQ
10.
Le Monde du 15 juin 2012.
11.
http://www.pentainvestments.com/about-private-equity
12.
Le salaire moyen en Slovaquie était de 769 € en 2010 (le salaire minimum
en 2011 : 317 €). Les médecins demandaient donc des salaires entre
1153,50 et 2307 €…
13. Pavel Oravec,
vice-président de LUZ/LUP, Report on the Slovak Health Care Situation (October 2011 - May 2012),
http://www.fems.net/France/Pages/Documents.aspx
14. Depuis 2009 la Roumanie a dû demander des emprunts au FMI, à la BM et à
l’UE — 25 milliards d’euros en 2009 puis de nouveau 5 milliards en mars
2011. Les créditeurs ont alors exigé un « programme
d’économies » : réduction de 25 % des salaires de la fonction
publique, gel des retraites, hausse de la TVA de 19 % à 24 % ainsi
que la « libéralisation » du marché du gaz, de l’électricité et de la
santé.
15. Alexis Benos, op. cit.
16. L'Institut
International de Recherche et de Formation (IIRF), basée à Amsterdam, a pour
but de favoriser les recherches et la formation pour des militants et des
chercheurs dans le monde. IIRF organise
des cours, conférences et groupes d'étude, traitant de tous les sujets liés à
l'émancipation des opprimé(e)s et exploité(e)s opprimé-e-s et exploité-e-s de
par le monde. Il accueille également régulièrement des conférences et des
débats organisés en liaison avec d'autres forces progressistes. Voir :
http://www.iire.org/
17. Cf. le dossier
publié à l’issue de cette conférence dans Inprecor n° 573/574 de mai-juin
2011.
18. Lire en p. …
19. Le syndicat
OZZPiP, avec le soutien solidaire du syndicat « Août 80 », avait
animé un campement devant la Chancellerie du premier ministre (alors Jaroslaw
Kaczynski) du 19 juin au 15 juillet 2007 à Varsovie, passé dans l’histoire sous
le nom du « village blanc ». Les infirmières et sages-femmes de
Pologne soutenaient cette action par une grève tournante dans les hôpitaux dans
tout le pays. L’action a débutée lorsque Kaczynski a refusé de recevoir les
représentantes de la profession qui luttaient pour une augmentation des
salaires et contre la réforme de la santé et que la délégation de l’OZZPiP a
décidée d’occuper la Chancellerie tant qu’elle ne sera pas reçue.
20. Vladimir Nieddu,
Construire un mouvement social européen dans la santé !, Différent
n° 35, juin-juillet-août 2012.
21. Rzeczpospolita, 5
juin 2012
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